STATUT DES CREATIONS INTELLECTUELLES DES DOCTORANTS EN INFORMATIQUE. ACTION AYANT POUR BUT DE DONNER LA POSSIBILITE AU DOCTORANTS EN INFORMATIQUE DE DECIDER QUE LEUR TRAVAIL DE THESE FERA PARTIE DU DOMAINE PUBLIC. Monsieur, Je suis actuellement en train de terminer une these en informatique au LIP6 (Laboratoire d'Informatique de Paris 6). Il nous sera demande cette annee de joindre a notre dossier d'inscription (et de signer) un "accord de confidentialite" stipulant en particulier que : a. la propriete industrielle de la these appartient pleinement et entierement a l'universite Pierre et Marie CURIE [...] Le doctorant fournira [...] toutes les donnees necessaires au depot eventuel de demande de propriete intellectuelle et ne s'opposera a ce depot. b. Le doctorant est tenu au secret professionnel. c. le doctorant s'interdit d'utiliser les resultats des travaux de la these pour des recherches futures. d. il s'interdit egalement de communiquer a des tiers toute information relative aux resultats des travaux de la these, meme partiellement, en vue d'eviter toute utilisation par des tiers. e. Les dispositions prises dans le present engagement [...] restent valables deux ans apres le depart du doctorant du laboratoire. Le contenu integral de l'accord de confidentialite est donne en annexe. Apres concertation sur la signification et la portee exacte de ce texte, ce dernier a ete juge tres surprenant par une majorite des personnes contactees. Dans ce qui suit, sont developpes un certains nombre d'arguments que je resume tout d'abord : Du point de vue des individus impliques : 1.a. L'accord de confidentialite a ete institue sans qu'une large concertation ait lieu ; 1.b. La facon de proceder est brutale et autoritaire. Elle est une incitation a la fuite des jeunes doctorants ; 1.c. Cet accord de confidentialite constitue une discrimination professionnelle de fait ; 1.d. Aux termes de l'accord, le doctorant n'a a priori aucun droit. Ceci n'est pas dans l'esprit de la charte des theses qui se met en place cette annee ; 1.e. La carriere des doctorants est mise sous tutelle. C'est le point le plus grave. D'un point de vue plus general : 2.a. L'accord de confidentialite mentionne explicitement le depot de titres de propriete intellectuelle. Or, la brevetabilite du logiciel est encore aujourd'hui un sujet controverse. 2.b. La brevetabilite du logiciel va dans le sens d'une appropriation croissante des techniques logicielles par des interets particuliers. 2.c. La creation de logiciel constitue une des activites les plus democratiquement accessibles. Les techniques logicielles sont encore actuellement une chose publique. 2.d. Sans prendre parti dans le debat sur la brevetabilite du logiciel, on peut simplement observer que les textes adoptes a Paris 6 vont dans le sens de l'appropriation des techniques, alors qu'ils devraient au contraire aller dans le sens de l'elaboration d'un savoir disponible et utilisable par tous. Ceci est indigne d'une grande universite publique. Ceci constitue une derive grave. Je demande donc que soit donnee la possibilite aux doctorants en informatique de decider que leur travail fera partie du domaine public. Je demande que ceci ne puisse etre refuse aux doctorants qui le souhaitent, s'ils sont entierement finances par des fonds publics, ou s'ils financent eux-memes leur travail de these. Je suis justement un tel doctorant ayant finance moi-meme integralement ma these. Pour ma part, je n'approuve pas le systeme de brevetabilite du logiciel qui se met en place. Mais c'est indifferent. Ce qui me revolte, c'est que l'on m'oblige a participer moi-meme a ce que je reprouve, alors que j'ai travaille jusqu'alors dans un esprit tout a fait different, dans le but de creer des connaissances utilisables par tous. Je crois que la demande formulee ici est de nature a federer les energies. Une reaction favorable de votre part serait tres probablement un element de nature a emporter la conviction de beaucoup de gens, et de nature aussi a favoriser l'ouverture d'un large debat qui doit a mon avis absolument avoir lieu. Je vous demande votre aide. A moins que vous ne m'y autorisiez explicitement, je ne me permettrai bien evidemment pas de communiquer votre reponse a qui que ce soit. 1. LE PROBLEME D'UN POINT DE VUE INDIVIDUEL a. Cet accord de confidentialite a d'abord ete institue, si j'ose dire, de facon lui aussi assez confidentielle (le vote a eu lieu au mois de mars). Les autorites se sont en particulier bien gardees de lui donner une large publicite, et on ne peut certainement pas dire qu'une large concertation ait eu lieu a son sujet. Ce n'est qu'actuellement que les doctorants decouvrent le texte, au moment ou l'on est pris par le temps, et ou la majorite d'entre nous est en vacances... b. Il est tout a fait comprehensible que l'universite souhaite tirer benefice des recherches menees en son sein. Mais je trouve brutale, autoritaire, et pour tout dire inacceptable la maniere qui a ete choisie pour y parvenir. Ce n'est certainement pas ainsi, en nous mettant devant le fait accompli, et en nous demandant fort peu notre avis, que l'on nous incitera a participer a la rentabilisation des travaux developpes par nous au sein de l'universite Francaise. C'est malheureusement l'effet contraire qui risque d'etre obtenu. Il serait fort peu coherent qu'ensuite, l'on vienne regretter le depart des jeunes chercheurs de l'universite : on les y incite. c. Ce type d'accord de confidentialite constitue d'autre part une forme de discrimination professionnelle de fait, puisqu'il s'applique aux doctorants et pas (encore ?) aux autres chercheurs. Il peut etre percu aussi comme une menace voilee et une forme de harcelement moral : dans la mesure ou il est joint au dossier d'inscription, on peut se demander si les demandes de reinscription des personnes refusant de signer l'accord seront acceptees... d. Tout ceci est aussi fortement attentatoire a la liberte de l'individu, puisque dans le cadre de l'accord de confidentialite cite plus haut, les auteurs des travaux s'en voient completement depossedes, ou du moins, completement soumis au bon vouloir des autorites. En particulier, absolument rien n'est dit pour etablir a priori les droits des differentes parties, si ce n'est que l'universite a tous les droits : c'est extremement excessif, et ne correspond pas du tout a la norme internationale en la matiere. L'accord de confidentialite qui a ete vote a Paris 6 apparait enfin comme n'etant pas vraiment dans l'esprit de la charte des theses qui se met en place cette annee, et semble outrepasser assez largement les consignes ministerielles a ce sujet. Un tel accord denature au contraire le sens de la charte, et je le crois donc moralement injustifiable. e. Enfin et surtout, il est inacceptable que le doctorant doive "s'interdire d'utiliser les resultats des travaux de la these pour des recherches futures", alors qu'il a investi trois ans ou plus de sa vie pour mener a bien son travail de these ! Comment ceci peut-il meme etre simplement envisage ? C'est tout simplement la carriere future du doctorant qui est ainsi mise sous tutelle, sachant que la recherche d'un emploi apres la these passe bien evidemment par la mise en valeur des travaux de recherche menes pendant cette these aupres d'un employeur, quel qu'il puisse etre ! 2. LE PROBLEME D'UN POINT DE VUE DES USAGES ET DU ROLE DES INSTITUTIONS a. Il est question de titres de propriete intellectuelle dans l'accord de confidentialite dont je parle. Or dans le cas particulier du logiciel, la propriete intellectuelle possede un statut actuellement assez controverse, pour diverses raisons : -> les algorithmes (qui constituent en quelque sorte les briques de base a partir desquelles est construit un logiciel) sont des choses qui peuvent s'apparenter d'assez pres a des idees mathematiques de nature beaucoup trop generale. C'est la raison pour laquelle la brevetabilite du logiciel est apparue il y a seulement quelques annees, aux Etats-unis d'abord, puis au Japon, et bientot peut-etre en Europe ; -> De facon beaucoup plus concrete, la brevetabilite du logiciel constitue un danger pour ce qu'on appelle le logiciel libre, construit a partir d'algorithmes et de normes faisant partie du domaine public. Plus generalement, elle constitue un frein extremement lourd a toute forme d'initiative individuelle, puisqu'a partir du moment ou un algorithme est brevete, un individu isole n'a plus la possibilite d'utiliser cet algorithme sans avoir les moyens de payer le proprietaire du titre de propriete intellectuelle. b. Ceci cree des conditions dans lesquelles la possibilite sera peut-etre donnee a des interets particuliers de controler un jour l'innovation dans le domaine du logiciel. c. C'est extremement grave, dans la mesure ou jusqu'a present, le logiciel en Europe etait une chose publique. Or une specificite importante du logiciel est de pouvoir etre produit avec tres peu de moyens, et c'est ceci qui donne son veritable dynamisme a l'industrie du logiciel : la creation de logiciel est ouverte a tous, et constitue, avec la musique et la litterature, une des activites les plus democratiquement accessibles a l'heure actuelle. C'est a mon avis quelque chose d'extremement precieux, que nous devrions proteger. d. Et ceci est justement la mission d'une universite publique, qui consiste d'abord en la creation et en l'elaboration d'un savoir disponible et utilisable par tous. Il en est ainsi dans tous les pays developpes, en particulier dans les pays anglo-saxons, ou il existe une distinction claire et nette entre le domaine de la recherche publique et celui de la recherche privee. Il n'en est malheureusement pas ainsi a l'universite de Paris 6. C'est effectivement dans une des plus grandes universites Francaises que se mettent peu a peu en place des pratiques amenant au contraire tout droit a l'appropriation de cette chose publique qu'est le logiciel. Dans la mesure ou ceci a lieu dans une universite publique, financee par les deniers du contribuable, qui finance ainsi sans le savoir la diminution de sa propre liberte, car il s'agit la d'actes qui feront peut-etre jurisprudence, tout ceci me donne a penser que les responsables de telles decisions trahissent la mission qui leur a ete confiee, et deshonorent l'institution universitaire dont ils ont la charge. De telles derives portent un coup extremement severe a un esprit universitaire qui se fonde d'abord sur le libre partage et la libre utilisation des connaissances, qui doivent avoir cours au profit de tous, et non de quelques-uns. 3. UNE PROPOSITION Je vous ecris donc ceci afin de vous demander, avec tout le respect que je vous dois, votre soutien afin que, dans le cas particulier de l'informatique, soient supprimes les textes du type de l'accord de confidentialite que je denonce, pour les raisons qui ont ete exprimees ici. De tels textes devraient etre au contraire remplaces par un accord de divulgation signe par les differents intervenants (le doctorant d'une part, et les autorites universitaires d'autre part). Cet accord de divulgation ne devrait pas pouvoir etre refuse aux doctorants integralement finances par des fonds publics, ni non plus a ceux qui financent eux-memes leur these. Dans ces deux cas, l'accord de divulgation donnerait le droit aux doctorants en informatique de decider que leur travail (these et logiciels) fera integralement partie du domaine public, comme il en a tres majoritairement ete jusqu'a present. L'accord devrait explicitement stipuler que le contenu des travaux ecrits ne fera l'objet d'aucun depot de titre de propriete intellectuelle de quelque nature qu'il soit, et que les logiciels seront mis a la disposition du public avec leur code source, sous une licence de type "logiciel libre" telle que la licence GNU. Nous disposerions alors de l'instrument legal qui fait defaut aujourd'hui, instrument ayant pour objet de permettre au moins l'expression d'un libre choix de la part des doctorants en faveur de la libre utilisation de leurs decouvertes par le public le plus large. Un tel instrument n'existe pas aujourd'hui, et sa creation me semble aujourd'hui necessaire et tout a fait justifiee. Qu'il me soit permis de dire enfin que je pense qu'il est necessaire que des personnes disposant de plus d'autorite que moi prennent position sur un tel sujet, sur lequel en temps normal, un simple doctorant n'aurait pas du etre oblige d'intervenir. Bien respectueusement Henri LESOURD ANNEXE : L'ACCORD DE CONFIDENTIALITE PARIS 6 << ARTICLE 3 - PROPRIETE DES RESULTATS Le doctorant reconnait que la propriete industrielle de la these appartient pleinement et entierement a l'universite Pierre et Marie CURIE, sauf restrictions prevues dans le contrat d'etablissement ou conventions avec des partenaires. Le doctorant fournira a l'universite Pierre et Marie CURIE toutes les donnees necessaires au depot eventuel de demande de propriete intellectuelle et ne s'opposera a ce depot. ARTICLE 4 - SECRET-PUBLICATION Le doctorant est tenu au secret professionnel a l'egard des tiers, non seulement sur les activites du laboratoire, mais aussi sur toutes les activites dont il aurait pu avoir connaissance, notamment a l'occasion de visites d'autres unites de recherche. Le doctorant peut faire des publications ou des communications, ecrites ou orales, relatives aux travaux de la these, apres avoir recu l'autorisation du directeur de these. Il respecte les engagements de confidentialite qui pourraient eventuellement etre pris avant la soutenance. ARTICLE 5 - UTILISATION DES RESULTATS Sauf autorisation ecrite, signee par le president de l'universite Pierre et Marie CURIE, sur proposition du directeur de these, le doctorant s'interdit d'utiliser les resultats des travaux de la these pour des recherches futures a l'exterieur du laboratoire et des applications eventuelles ; il s'interdit egalement de communiquer a des tiers toute information relative aux resultats des travaux de la these, meme partiellement, en vue d'eviter toute utilisation par des tiers. ARTICLE 6 - DUREE Les dispositions prises dans le present engagement s'appliquent de plein droit depuis la date d'entree du doctorant au laboratoire et pendant la duree de son sejour, qui ne pourra pas depasser la premiere date parmi les deux dates suivantes, soit la date de la soutenance de la these, soit la date de fin d'accueil du doctorant au laboratoire, et restent valables deux ans apres le depart du doctorant du laboratoire. >>